Si le siècle dernier fut celui du Romantisme,
le siècle courant en sonnera sûrement le glas. Faire la cour à une femme est
devenu aujourd'hui une entreprise passablement périlleuse. Si Balzac savait, il
se retournerait certainement dans sa tombe. Où peut-on draguer en 1992? Au
travail? Dans une boite de nuit? L'un ou l'autre n'est pas de tout repos.
Pour draguer au travail, il faut d'abord
dénicher un bon avocat. Ensuite, il faut être très vigilant; pas question de se
laisser conduire par ses sentiments. Bien entendu, un cadre ne doit jamais
chercher à charmer une secrétaire; une plainte de harcèlement sexuel peut
sérieusement amocher une carrière. Un cadre doit donc se limiter à draguer à
l'intérieur de son rang hiérarchique. Tant pis pour lui s'il travaille pour une
firme de génie-conseil et que, malheureusement, les seules femmes y sont encore
secrétaires. Il peut toujours se recycler en droit ou en médecine. Entretemps,
il devra rester insensible aux décolletés invitants que sa secrétaire porte à
souhait. Les mariages mixtes sont désormais interdits. La mode est au clivage
social.
Draguer dans une boite de nuit n'est guère
plus agréable, en particulier pour un non-fumeur. Ça coûte cher; il faut
envoyer ses habits chez le nettoyeur à chaque fois, voire même les accrocher
dehors entretemps à cause de l'odeur. De plus, il faut entrer à la discothèque
avec deux valises, l'une remplie de condoms, l'autre de formulaires de
consentement. Il serait même prudent d'apporter un ivressomètre. Ainsi, vous
pourrez prouver à la Cour ultérieurement que votre partenaire n'avait pas les
«facultés affaiblies» au moment de signer le formulaire de consentement.
N'oubliez pas non plus de faire contresigner le chasseur de l'hôtel comme
témoin.
Les ventes de champagne devraient donc
diminuer substantiellement au pays. En effet, nul prétendant ne courra le
risque d'affaiblir les facultés de sa dulcinée. Le bon vieux proverbe «In vino
veritas» en prend pour son rhume.
Hélas, les désagréments ne s'arrêtent pas une
fois rendu au lit. Essayez donc de jouir tout en vous demandant si vous serez
accusé de viol le lendemain ou encore si vous serez séropositif au prochain
test de dépistage du SIDA. Est-ce là le romantisme que nous réserve l'an 2000?
Les scientifiques tentent à leur manière de restaurer le romantisme, en
cherchant notamment un vaccin contre le SIDA. Nos juristes travaillent aussi
fort, mais malheureusement dans l'autre sens. Au nom de principes nobles mais
idéalistes, ils sont en train d'anéantir les plus beaux vestiges de nos
origines animales. À quand la taxe d'amusement?
Bref, si l'État ne s'ingérait pas dans nos chambres à coucher, la
société ne s'en porterait que mieux.