Thursday 28 December 2017

Le défi de la croissance pour l’entrepreneur




Un entrepreneur talentueux sur le plan technique connaîtra généralement le succès et verra son entreprise croître. Par contre, faute de talents sur le plan humain cette croissance plafonnera rapidement. Mon grand-père disait : le quotidien d’un gangster est bien différent de celui d’un curé ou d’un fonctionnaire; par contre, le quotidien du chef de pègre n’est pas trop différent du celui du pape ou du premier ministre. Je resterai toujours marqué de ma rencontre avec feu Bernard Lamarre, fondateur de Lavalin. Son bureau était des plus minimalistes soit une plaque de verre avec un téléphone. Pas d’ordinateurs, ni de classeurs, ni même de tiroirs. Vraisemblablement son succès n’était pas dû à ses talents d’ingénieur.
On oublie souvent l’étymologie du mot « compagnie ». De façon générique, le terme compagnie désigne une réunion de personnes qui ont quelque motif de se trouver ensemble. Ainsi au-delà de la définition légale d’une entité juridique distincte, une compagnie est un regroupement d’êtres humains qui ont un objectif commun soit produire un bien ou un service et le vendre à profit. Le leadership est donc la principale qualité que doit posséder le dirigeant, parce qu’une entreprise est d’abord et avant tout un véhicule humain.
Être un bon leader requiert une autre forme d’intelligence que celle qui sert à déverminer un logiciel ou à souder un tuyau. Le succès de la compagnie ne dépend pas tant de la capacité du dirigeant à FAIRE qu’à FAIRE FAIRE. Or faire faire est plus facile à dire qu’à faire. En fait, faire faire implique de déléguer des tâches. Or deux erreurs guettent ici celui qui délègue : 1-laisser faire le subalterne sans aucune supervision ni contrôle ou 2- à l’autre extrême, suivre le subalterne pas à pas. Souvent les entrepreneurs dont la compagnie est en croissance commettent la deuxième erreur et tombe dans le micro-management.
La plupart du temps quand une entreprise comprend moins de 10 employés, il y a un seul preneur de décisions entouré d’exécutants. Le cas échéant, le dit preneur de décisions s’implique personnellement dans toutes les sphères de l’entreprise. Comme les entrepreneurs entièrement polyvalents sont rares, souvent les dirigeant s’entourent de bons consultants pour pallier à leurs faiblesses.
Au fur et à mesure que l’entreprise croit, il devient difficile voire impossible pour une seule personne de participer à toutes les décisions de l’entreprise, aussi intelligente puisse-t-elle être. L’entrepreneur fondateur doit donc passer à la prochaine étape qui consiste à embaucher non plus des exécutants mais des gestionnaires. Trop souvent les entrepreneurs ne se rendent jamais à cette étape et continuent de gérer leur entreprise en demeurant au cœur de toutes les décisions. Ils reproduisent en fait la formule qui a mené à leur succès jusqu’alors. Hélas, si l’entrepreneur n’adapte pas son style de gestion, il arrivera difficilement à faire croître davantage son entreprise et/ou il y laissera sa santé.
L’erreur classique de l’entrepreneur qui embauche ses premiers gestionnaires est de les traiter en exécutants. Or, pour bien tirer profit de la plus-value d’un gestionnaire par rapport à un exécutant, il faut lui laisser plus de marge de manœuvre. Le gestionnaire doit être jugé sur ses résultats et non les moyens qu’il prend pour atteindre ses résultats. En effet, il existe souvent plus qu’une bonne façon de faire les choses et il existe rarement deux gestionnaires identiques. L’entrepreneur doit donc accepter que son gestionnaire passe par un chemin différent que celui qu’il aurait pris, en autant bien-entendu que la marchandise soit livrée. Il doit même le laisser faire ses propres erreurs. Ici le défi ressemble à celui d’un parent face à son enfant qui grandit.
Quand l’entrepreneur tombe dans le piège du micro-management, non seulement il ne profite pas pleinement du potentiel de son personnel mais en plus il éloigne la compétence et s’entoure que d’exécutants. Ces derniers sont essentiels mais sans une direction adéquate, l’entreprise est vouée à stagner. En effet, un bon gestionnaire, et a fortiori un gestionnaire de niveau exécutif, ne restera pas longtemps dans une entreprise où son jugement, son sens des responsabilités et son initiative ne sont pas valorisés. Or la croissance requiert aussi des têtes additionnelles, pas juste des bras.
Des fonctions aussi différentes que le marketing, la finance, la production peuvent être assumées par une même personne lorsque l’entreprise est petite. Par contre, au fur et à mesure que l’entreprise croit, il est plutôt rare qu’un même président soit suffisamment compétent dans tous ces domaines à la fois. Normalement, le président déléguera à des vice-présidents ou directeurs les fonctions où il est moins confiant. Le président doit aussi garder à l’esprit que sa principale fonction doit demeurer de présider. Or, il ne faut pas prendre pour acquis que l’entrepreneur-fondateur est forcément le mieux placé pour présider. J’ai connu un cas où le fondateur a de son propre gré délégué la présidence pour se consacrer à la recherche-développement et le chiffre d’affaires a explosé. Aussi il ne faut pas croire qu’un bon homme d’affaires est nécessairement un bon administrateur et vice-versa. Le sens des affaires relèvent du cerveau droit alors que l’habilité à gérer relève davantage du cerveau gauche. Idéalement ça prend les deux dans une entreprise.
Il arrive souvent que l’entrepreneur fondateur fasse un bon président mais un piètre directeur général. Il a une bonne vision mais s’enfarge dans son implémentation. Ça prend beaucoup d’humilité pour un actionnaire principal de reconnaître que son entreprise sera plus rentable s’il en délègue la direction générale à un gestionnaire chevronné. Il arrive même que l’entrepreneur aime bien diriger mais ne soit pas habile pour le faire. Un conflit s’installe alors entre les intérêts de l’entreprise et ceux de l’entrepreneur.   Le cas échéant, le climat de travail peut rapidement devenir toxique pour les autres membres de l’exécutif, surtout s’ils sont actionnaires minoritaires. Le profit est le seul objectif des actionnaires d’une entreprise cotée à la bourse mais c’est rarement le seul objectif d’un entrepreneur. C’est même parfois un objectif secondaire. Il est important que l’entrepreneur soit honnête face à ses directeurs à ce sujet et même face à lui-même. Cela évitera bien des frustrations. La taille des problèmes est généralement proportionnelle à la taille de l’entreprise. Tous n’ont pas la même faim pour relever de grands défis. Aussi il est tout à fait légitime pour un entrepreneur de vouloir rester petit et de ne pas être workaholique.
Même quand l’entrepreneur fondateur est un audacieux homme d’affaires, il peut être judicieux d’embaucher un directeur général venant de l’externe. Le vieil adage s’applique ici : quand on est trop proche de l’arbre, on ne voit plus la forêt. C’est particulièrement vrai si l’entrepreneur n’a peu ou jamais travaillé pour d’autres employeurs avant de fonder sa propre entreprise. Le nouvel exécutif reconnaîtra peut-être un problème qu’il a déjà rencontré au cours de sa carrière. Parfois le seul fait d’avoir un regard extérieur permet de voir le problème d’un autre angle et de trouver une solution qui finalement s’avère triviale. Aussi une solution courante dans un domaine industriel peut s’avérer révolutionnaire dans un autre. Je peux témoigner ici d’un exemple personnel où j’ai utilisé des filtres HEPA que j’ai connu dans les laboratoires de microbiologie pour filtrer les spores de moisissure de la pièce où des pains biologiques refroidissent, gagnant ainsi plusieurs jours de péremption. Ce faisant, j’ai créé une petite révolution dans le domaine de la boulangerie biologique. Pourtant les filtres HEPA sont monnaie courante en microbiologie. Un parcours professionnel varié permet justement ce genre de synergie.
Bref, l’entrepreneur fondateur doit adapter son style de gestion au fur et à mesure que son entreprise croit. Tous n’ont pas la même habilité naturelle pour ce faire. Plusieurs outils existent pour aider l’entrepreneur à faire cette transition. Des livres célèbres méritent d’être lus dont « Scaling up » de Verne Harnish. Il y a aussi des formations offertes sur le sujet. L’outil le plus efficace est probablement le coaching d’un spécialiste en ressources humaines. Faute d’avoir les habilités requises, l’actionnaire peut alors déléguer la direction générale à un gestionnaire d’expérience.  Le cas échéant, je préconise une rémunération mixte incluant un salaire de base et des bonus à la performance (participation aux profits ou au capital-actions). Qu’il délègue ou non la direction générale, l’entrepreneur fondateur doit être honnête avec lui-même quant à ses réelles motivations d’être en affaires. Il doit communiquer clairement au personnel la mission de l’entreprise et ses valeurs. Il augmente ainsi ses chances d’avoir les bons lieutenants autours de lui.

Innovation : gare aux feux de paille

Les erreurs de gestion ne préviennent pas nécessairement la croissance d’une entreprise, en autant que l’entrepreneur les reconnaisse, les corrige et surtout ne les reproduise pas. Par définition, un entrepreneur est un homme ou une femme d’action. Or, dans l’action, forcément on commet parfois des erreurs. Ce qui compte au fond n’est le nombre de mauvais coups en valeur absolue mais le ratio entre les bons et es mauvais. Or, à l’instar d’un employé, l’entrepreneur atteint éventuellement lui-aussi son « niveau de Peter’s »; cela se produit quand justement il reproduit inlassablement les mêmes erreurs. Quand la croissance de son entreprise stagne, il est temps pour l’entrepreneur de se demander : « quel pattern suis-je en train de répéter qui m’empêche de passer au prochain niveau dans la croissance de mon entreprise? ».
Il existe plusieurs patterns néfastes à la croissance d’une entreprise mais celui dont il est question ici est d’allumer des feux de paille. Cet article s’adresse aux entrepreneurs manufacturiers ou en informatique innovateurs qui disposent d’un département de recherche-développement au sein de leur entreprise. Parfois, ce département a été fondé à l’occasion d’une société start-up basée un projet précis de développement de produit et un financement associé. Néanmoins, la plupart du temps ce département s’est développé au fil des ans tout comme les produits alors que l’entreprise a démarré dans le service. Les contrats de service ont ainsi financé les premiers produits alors que l’entreprise n’avait pas encore ses propres ressources financières pour ce faire. Les entreprises de service sont moins gourmandes en capital de départ et ainsi plus faciles à démarrer. Avec les années, l’entreprise bâtit ses fonds propres et peut ensuite financer ses propres projets de recherche-développement.
Un contrat de service procure souvent une belle opportunité pour développer son propre produit. En effet, il est rare qu’un produit développé sur mesure pour répondre au besoin d’un client spécifique ne puisse être adapté et ensuite vendu à d’autres clients par la suite. Par exemple, AM General avait développé le véhicule tout terrain Humvee pour l’Armée américaine et l’a ensuite adapté au marché civil et revendu en 1992 sous la marque Hummer. En 1999, la marque a été vendue à General Motors. Ce cas est beaucoup plus typique que les produits qui naissent d’une start-up. Il est surtout moins risqué. Encore faut-il porter une attention particulière à la propriété intellectuelle. Si le client original détient les droits du produit développé, il doit accorder une licence au développeur, surtout si un brevet est en cause. Dans le cas des logiciels protégés par le droit d’auteur, il est beaucoup plus facile de contourner ce problème.
La qualité première d’un entrepreneur est d’être opportuniste. D’ailleurs, la plupart du temps, les entreprises naissent d’une opportunité. En exploitant cette opportunité, l’entrepreneur est alors exposé au fil du temps à de nouvelles opportunités qui lui procurent de nouveaux contrats de service et/ou de nouveaux produits. Il est plutôt rare que l’opportunité originale fasse vivre une entreprise tout au long de son existence. La plupart du temps, l’entrepreneur se retrouve à vendre des produits après quelques années qu’il n’aurait jamais imaginer lors de la fondation de l’entreprise. Ce phénomène est sain et témoigne du sens opportuniste de l’entrepreneur et sa capacité d’adaptation.
Au fur et à mesure que les ventes croissent, le nombre de clients augmente et les opportunités se multiplient. Au départ, l’entrepreneur a tendance à sauter sur toutes les occasions mais avec le temps l’entreprise définit sa mission et les nouveaux projets doivent s’enligner avec cette dernière. Certains entrepreneurs demeurent des chasseurs tout au long de leur carrière alors que d’autres sont plutôt des fermiers et développent une solide équité avec le temps. Or pierre qui roule n’amasse pas mousse et les entreprises qui excellent sont celles qui finissent par comprendre leur avantage concurrentiel et définir leur proposition de valeur. L’entreprise offre-t-elle un meilleur prix? Un meilleur produit? Un service mieux personnalisé? Les réponses à ces questions définissent l’ADN de l’entreprise. Or, l’entrepreneur doit uniquement considérer les projets compatibles avec cette ADN sinon la greffe ne tiendra pas; les autres opportunités sont en fait des distractions.
Une PME de 50 employés n’a évidemment pas les mêmes moyens financiers qu’une entreprise de 5000 employés. Néanmoins, dans les deux cas, les ressources financières et humaines sont limitées et doivent être gérées avec parcimonie. Donc, en plus d’éliminer les opportunités incompatibles avec l’ADN de son entreprise, l’entrepreneur doit classer les opportunités restantes en ordre de valeur parce que les munitions sont limitées et l’entreprise doit concentrer son tir sur les meilleures cibles. Don’t be a loose cannon! La vraie question n’est pas de savoir si les opportunités sont rentables ou non mais de déterminer lesquelles offrent le meilleur retour sur investissement. C’est la fameuse notion de « low hanging fruit ». Quand on cueille un pommier, on commence par les pommes à porter de main avant de mettre l’escabeau pour atteindre le dernier fruit au faîte de l’arbre.
Quand un client exprime un besoin et qu’une opportunité de produit se dessine autour de ce besoin, avant de lancer tête baissée dans le développement, il faut évaluer si l’effort procurera un effet de levier véritable; autrement dit, l’entreprise pourra-t-elle vendre le même produit ou une version apparentée à d’autres clients? Cette question est primordiale car il est monnaie courante de sous-estimer les coûts véritables de développement et aussi les coûts de support par la suite. En d’autres mots, le jeu en vaut-il la chandelle? Même si le client offre de payer le développement, cette question demeure pertinente car pendant que l’équipe de R&D travaille sur ce projet, elle retarde l’avancement de ses autres projets; il faut donc aussi tenir compte du coût d’opportunité.
Une erreur classique est d’embarquer dans un projet dont les retombées sont incertaines mais en limitant les budgets de recherche-développement pour compenser. Ce faisant, l’équipe de R&D met sur le marché un produit défaillant et les coûts ultérieurs en support de garantie dépassent de loin les économies réalisées au départ, et ce, sans compter les dommages intangibles causés à l’entreprise comme la réputation de fiabilité qui en prend pour son rhume.
Une autre erreur classique consiste à courir après trop d’opportunités à la fois. Or, qui trop embrasse mal étreint. Au lieu d’être dixième dans dix secteurs, il vaut mieux être premier dans un seul secteur; en effet, les dixièmes ne gagnent jamais la médaille d’or. L’entreprise devient ainsi un leader dans son domaine au lieu d’offrir un « me too product ». Évidemment cette approche a l’inconvénient de concentrer les œufs dans moins de paniers. Il devient alors d’autant plus judicieux de bien choisir sa ou ses niche(s) de marché.
Bref l’entrepreneur doit apprendre à parfois dire « non » à un client mais cela est contre sa nature. Un bon entrepreneur veut toujours plaire à son client; cela fait partie de la définition d’un entrepreneur. Néanmoins, il vaut mieux créer une petite déception immédiatement plutôt qu’une grosse déception plus tard quand l’entreprise abandonnera le support du produit faute de rentabilité.
Lancer un produit peut se comparer à allumer un feu de foyer. L’entrepreneur dispose de grosses bûches de bois, de petit bois d’allumage, de papier et d’allumettes. L’objectifs est de générer beaucoup de chaleur (profits) pendant longtemps. Les bûches (gros marchés) sont idéales pour ce faire mais en revanche sont difficiles à allumer. Le petit bois, et encore plus le papier (petites opportunités) sont faciles à allumer, génèrent rapidement une flame vive mais passagère. Les allumettes (les fonds dont l’entrepreneur dispose) sont comptées.
La bonne pratique consiste à allumer le papier avec les allumettes, ensuite le petit bois avec les flammes du papier et finalement les grosses bûches avec les flammes du petit bois. Il est normal pour l’entrepreneur au départ de n’allumer que des feux de paille (papier) car ses ressources (allumettes) sont limitées et il a besoin rapidement de profit. Néanmoins une entreprise ne suivit pas longtemps avec un feu de paille. Au cours de ma carrière, j’ai connu des entrepreneurs qui ont allumé des feux de paille toute leur vie mais ils ont dû travailler bien fort pour finalement prendre leur retraite en vendant une entreprise qui avait accumulé peu d’équité.
Quand une entreprise a atteint une certaine maturité, il est temps d’allumer d’arrêter d’allumer des feux de paille et de s’intéresser aux bûches. À chaque opportunité qui se présente, il faut se poser la question : « Suis-je en train d’allumer un autre feu de paille ou bien ce produit deviendra cette fois-ci une source de profit durable qui propulsera l’entreprise à un niveau supérieur? ». Autrement dit, le produit développé pour un client spécifique pourra-t-il être revendu à plusieurs clients par la suite? Hélas, il est souvent difficile de revendre, tel quel, un produit développé sur mesure. Développer un produit générique, a fortiori une gamme de produits, est beaucoup plus complexe que de développer un produit à partir de spécifications précises pour un client donné. En partant, il faut établir les spécifications du produit générique et cela requiert une étude de marché.
Obtenir un contrat de développement, une commande spécifique ou simplement une promesse d’achat peut donner un bon coup de pouce sur le plan financier mais il y a loin de la coupe aux lèvres. L’entreprise devra investir de l’argent de sa poche pour passer d’un produit qui répond à un besoin spécifique à un produit qui répond à un besoin générique. Des versions bêta devront être testées avant de mettre le produit en marché. Des utilisateurs devront être trouvés pour tester ces versions bêta. Une erreur classique consiste à mettre en marché une version bêta d’un produit. D’abord, c’est malhonnête face au client. Ensuite, cela peut coûter une fortune ultérieurement en support de garantie. Ultimement, si la défaillance de produit cause un dommage indirect important au client, une poursuite judiciaire pourrait mettre l’entreprise en faillite. Dans certaines juridictions, les clauses contractuelles de protection contre le dommage indirect (incidental dammage aux États-Unis) sont nulles et sans effet.
Au cours de ma carrière, j’ai rarement vu de poursuites en dommage indirect. Cependant, j’ai souvent vu des réputations d’entreprise détruites par des produits défaillants voire même simplement des livraisons tardives. La référence d’un client est souvent le meilleur outil marketing, surtout dans le commerce B2B. À quoi bon alors investir massivement dans la promotion d’un produit si les problèmes de fiabilité détruisent tous ces efforts? Un produit mis en marché précocement s’avèrera souvent un feu de paille. Un produit mis en marché précocement attirera l’attention des compétiteurs. Pendant que notre entreprise répare ses pots cassés, certains compétiteurs développent un produit concurrentiel et l’avantage stratégique du timing est perdu. C’est notamment pourquoi, chez Apple, les employés signent des conventions de confidentialité musclées.
En terminant, quand vous partez un feu de foyer, évitez de lancer vos allumettes allumées dans toutes les directions. Concentrez-vous dans un petit coin. Prenez soin d’allumer le papier. Ensuite le petit bois avec le papier. Et éventuellement la grosse bûche avec le petit bois. C’est ainsi qu’on conquiert de gros marchés avec des ressources limitées. Bien allumer un petit coin revient à devenir premier dans une niche de marché en particulier. Ensuite, fort de ce succès, attaquez (allumez) la niche voisine et ainsi de suite. Si au contraire vous allumez négligemment plusieurs endroits simultanément, un bon coup de vent (récession) peut tout éteindre en même temps mais là, vous n’avez plus d’allumettes. Je n’ai pas inventé cette image. Elle provient du célèbre livre de marketing high tech: « Crossing the chasm[1] ».

Wednesday 20 December 2017

Séduction vs agression : la frontière s’amincit

Je ressens de l’empathie pour ces femmes qui à travers le mouvement #metoo dénoncent de véritables agressions sexuelles. Hélas, des plaintes futiles comme celle récemment de la députée libérale fédérale Sherry Romanado discréditent leur cause. En effet, la mauvaise blague de son collègue conservateur n’avait rien d’humiliant.

Une telle attitude d’une personnalité publique révèle un phénomène social insidieux : en jouant aux vierges offensées, les féministes occultent une réalité incontournable du jeu de la séduction. Or cette attitude d’autruche ne contribue nullement à harmoniser les relations hommes-femmes, bien au contraire.

En effet, une période ambiguë précède toute relation entre un homme et une femme; une période durant laquelle la femme se laisse courtiser le temps d’évaluer si son intérêt est réciproque. Même si le désir est partagé, souvent la femme étirera cette période en envoyant des signaux volontairement ambigus car elle aime se faire convoiter; c’est plus fort qu’elle. Les féministes auront beau prétendre que je suis sexiste mais ce comportement s’observe chez la plupart des femelles mammifères; qu’elles adressent donc leurs plaintes à Mère Nature (ou Dieu si croyantes) mais l’homme n’y est pour rien. Il subit plutôt ce comportement.

Il arrive aussi qu’une femme se laisse convoiter même si elle n’a aucune intention réelle d’aller plus loin. L’explication est la même : la femme aime plaire, se faire désirer. Même en couple elle aime parfois valider qu’elle plait encore. Elle fait ainsi plaisir à son égo féminin car elle est vaniteuse de ses charmes.

L’homme, qui est un prédateur dans l’âme, cherche à décoder les signaux de la femme convoitée et ainsi le moment opportun pour passer du verbe à l’action. Il s’agit toujours d’une entreprise risquée : comme à la pêche, il ne faut pas tirer sur la ligne trop vite ni trop tard. Or, dans ce contexte, il arrive qu’embrouillé par son désir, l’homme décode mal les signaux et pose un geste non désiré. Le cas échéant, il suffit pour la femme de le repousser courtoisement comme le suggérait l’écrivaine Catherine Millet dans un récent entrevue à Radio-Canada Première. Il n’est pas nécessaire ni socialement utile de déposer une accusation criminelle contre son soi-disant agresseur, ni de détruire sa carrière via une dénonciation publique, ni même de s’en offusquer. Néanmoins l’homme qui se fait trop insistant passé ce stade traverse une ligne interdite. Quand les effluves de la convoitise n’enivrent plus la femme et qu’au contraire le jeu la rend inconfortable, il est grand temps pour lui de faire amende honorable.

Après avoir invité ma femme à souper pour la première fois, je l'ai embrassée à la sortie du restaurant. Elle ne m’avait pas dit au préalable : « C’est bon, tu me plais, tu peux maintenant m’embrasser ou me caresser les seins ». J’ai donc pris un risque. Elle aurait pu faire comme le suggère Catherine Millet et me repousser courtoisement. Le cas échéant, nous ne serions pas mariés aujourd’hui. Mais en aucun cas, mon geste méritait d’être qualifié d’agression sexuelle.
Le dernier slogan de l’heure en matière de prévention du harcèlement sexuel est : « Sans oui, c’est non !». En tout respect pour mon épouse, elle n’est pas la première femme que j’ai courtisée. Pourtant, je n’ai jamais entendu un seul « oui » de toute ma vie. Je ne crois pas être un agresseur sexuel pour autant.

Il existe aussi une autre réalité moins édifiante mais tout aussi occultée. Dans certains milieux professionnels plus que d’autres, il est pratique courante pour des femmes (notamment) d’utiliser leurs charmes pour obtenir des faveurs dans le cadre de leur carrière. Selon moi, il incombe à chacun de juger de sa propre moralité. Néanmoins, les femmes qui s’adonnent à cette pratique doivent s’assumer jusqu’au bout. Elles ne peuvent prétendre à l’agression sexuelle si et seulement si leur démarche professionnelle ne s’avère pas fructueuse. Je reconnais aussi d’emblée aux femmes le droit de changer d’idée mais la courtoisie la plus élémentaire suggère de le faire avant d’entrer dans la chambre à coucher.

Bref, je suis bien heureux d’être déjà « casé » et je plains les jeunes hommes d’aujourd’hui. Dans mon temps, draguer une femme était déjà une entreprise périlleuse; c’est maintenant rendu mission impossible. Quelques écrivains de l’époque romantique doivent se retourner dans leur tombe. En tous les cas, ça calme la testostérone !


Sur une note plus sérieuse, c’est triste de constater à quel point le débat actuel autour du harcèlement sexuel est teinté de naïveté sinon carrément d’hypocrisie, à l’instar d’ailleurs de plusieurs autres sujets de l’heure comme le port du voile islamique, les transgenres et le véganisme. Le pendule social passe toujours d’un extrême à l’autre. Il y a toujours eu de réels abuseurs et il y en aura toujours. Cependant, à cause d’une minorité d’abuseurs, la majorité des hommes doivent désormais marcher sur des œufs. Or, dans une démocratie saine, la majorité devrait établir les règles du jeu.