Friday 30 November 2018

L’entrepreneur et la pénurie de main d’œuvre




Le Québec vit actuellement une pénurie de main d’œuvre sans précédent depuis les années 60. Ce problème est essentiellement une bonne nouvelle car il témoigne de la vigueur de notre économie mais aussi hélas du vieillissement de la population. Néanmoins, ce problème peut s’avérer fatal pour une entreprise s’il est mal géré. Les entreprises en croissances ou encore celles dont le coût de la main d’œuvre représente une proportion élevée des ventes sont particulièrement à risque.

Cette pénurie de main d’œuvre entraine trois conséquences :

1- La main d’œuvre disponible est plus rare, autant en quantité qu’en qualité, l’une étant intimément liée à l’autre.

2- En conséquence de cette faible disponibilité, le recrutement doit passer d’un mode passif à un mode actif. Placer une annonce n’est souvent plus suffisant. Il faut maintenant solliciter les bons candidats qui ne sont pas nécessairement en recherche d’emploi. Les chasseurs de tête sont tout indiqués pour ce faire car ils peuvent tâter le terrain discrètement sans dénoncer l’employeur potentiel pour autant. Après quelques années de disette à cause d’Internet, ce métier reprend maintenant de sa pertinence.

3- En conséquence de ce maraudage, la rétention du personnel devient primordiale plus que jamais. Il existe plusieurs règles du pouce pour évaluer le coût de la perte et du remplacement d’un employé selon son échelle salariale et son secteur d’activités. Il faut calculer les frais tangibles comme l’embauche et la formation mais aussi les frais intangibles qui sont généralement plus significatifs comme la perte de productivité pour l’entreprise ainsi que la dégradation du climat de travail et la perte de réputation de l’entreprise engendrées par le départ d’un employé mécontent. Bref, le coût d’un départ équivaut facilement à son salaire annuel. Dans le cas d’une entreprise en croissance, ce ratio peut même atteindre le triple.

Une bonne stratégie de rétention du personnel repose généralement sur trois ingrédients :

1-Évidemment les employés doivent être rémunérés à leur juste valeur selon le marché. Plusieurs entrepreneurs, surtout ceux de l’ancienne garde, s’imaginent que la saine gestion leur commande d’être chiches dans la négociation des salaires. Mon expérience de dirigeant m’indique au contraire qu’une telle stratégie est rarement payante à long terme, sauf peut-être pour les « sweat shops », ces entreprises sans valeur ajoutée dont le modèle d’affaires repose exclusivement sur l’exploitation du personnel. Un calcul rapide le démontre bien. Si vous perdez un employé parce qu’il est payé, disons 10% sous la médiane du marché, alors dix années seront nécessaires pour renflouer le coût de son remplacement. Malgré ce gros bon sens, certains entrepreneurs préfèrent encore se faire arracher une dent que d’ajuster le salaire d’un employé au marché. Cet entêtement irrationnel frôle l’obsession freudienne.

2- Chez la génération Y et encore plus les milléniaux, les conditions de travail et notamment la conciliation emploi-famille comptent encore plus que le salaire. De plus, comme la compétition pour le marché de l’emploi développera elle-aussi une stratégie de rétention, la barre sera encore plus haute à cet égard.  Une meilleure conciliation emploi-famille s’implémente de plusieurs manières : horaires flexibles, travail à distance, accommodement pour les urgences médicales ou parentales, meilleurs outils bureautiques dont l’infonuagique, etc. L’entrepreneur pingre peut se consoler ici car de meilleures conditions d’emploi mettent moins de pression sur les salaires.

3- Au-delà du salaire et des conditions de travail, un autre facteur impacte directement le taux de rotation du personnel : la qualité de la relation avec le supérieur immédiat. Plusieurs désirs nobles motivent l’entrepreneuriat dont notamment créer, sortir des sentiers battus, pleinement s’accomplir. Hélas, le côté sombre de la force de l’entrepreneur recèle parfois aussi d’autres désirs moins nobles comme se valoriser avec son statut de supérieur, abuser de son pouvoir, voire même prendre plaisir à humilier son employé. Ces comportements tyranniques n’ont plus la cote aujourd’hui. L’employé s’attend désormais à ce que son superviseur ne le blâme pas injustement, tienne ses promesses, le valorise pour ses accomplissements et demeure réceptif à ses idées. L’entrepreneur est le gardien de la culture d’entreprise et doit donc veiller aussi à que les autres superviseurs dans l’entreprise appliquent ces mêmes bonnes pratiques.

Bref, ne vous méprenez pas, cet article n’est pas un plaidoyer socialiste. Les économies de bouts de chandelle donnent peut-être bonne conscience à l’entrepreneur mais ne propulseront jamais son entreprise. Les britanniques ont une expression que j’aime bien pour décrire cette attitude : « penny wise but pound foolish ». Quant aux propriétaires de « sweat shop », mon conseil est d’automatiser leurs opérations sinon d’impartir la main d’œuvre en Asie pendant qu’il en est encore temps.

Romain Gagnon, ing.

Leadership and corporate hypocrisy



Technology has much evolved over the centuries and especially in recent decades. Technology has transformed our lives and daily tasks, but our fundamental genetics have not changed in the past 50 000 years, which is a glimpse in the time scale of evolution. In the Paleolithic era, humans were hunters-gatherers. However, like the Apes, they gathered in small tribes led by a chief. In this way, they felt more confident facing the challenges of life than if they struggled alone. Killing a mammoth was easier and provided enough food to feed the whole tribe.

Small and medium size enterprises (SME) are the modern version of the Paleolithic tribes, and their president/shareholder plays the role of the tribal chief. Larger enterprises resemble more to the societies that emerged with the Neolithic era, 10,000 BC.

In the Paleolithic era, like today, most humans were followers. The few leaders would rule tribes. It is no different today in SMEs. However, this distinction is not black or white. Every individual finds himself somewhere on a leadership scale. The irreducible leaders started their own tribe as soon as they reached adulthood, whereas the more moderate (and often older) leaders replaced the leader of their tribe when he died or became too old. Some followers remained faithful to the same chief all their lives, while others were moving from one tribe to another. But most of the time, whenever a follower found a tribe where he felt esteemed and secure, he would remain, instead of facing insecurity, a feature that belongs more naturally to the personality of a leader. Sometime, the leader would expel a follower from its tribe, the modern equivalent of the dismissal.

Some tribes, especially the new formed ones, experienced a higher turnover rate of their members. This was often due to the leader’s poor strategy and resulting inability to feed its tribe properly (feed properly now means providing a decent salary). But, most of the time, it was due to his poor leadership skills and resulting inability to inspire trust and provide recognition to its members. Normally, the older the tribe, the more there were older members.

Each tribe eventually developed its own set of behaviors and beliefs which provided a competitive edge over other tribes. This concept corresponds to corporate culture in today’s SMEs. Each newcomer must learn and abide by the culture of its new tribe. Otherwise, he won’t stay long. Each newcomer must also take an oath to its chief. This process consists for the newcomer to expose its vulnerability to the chief and for the chief not to use this opportunity to hurt the newcomer (at least not too much). This is how the newcomer establishes a relationship of trust with its new chief and swears allegiance to him. The same behavior is found among other mammals, namely male rats expose their genitals to the chief of rats, and this chief bites them gently while he could hurt them fatally. In this way, the chief establishes its authority. The same phenomenon exists among SMEs, but an individual with strong leadership is not likely to expose its genitals (figuratively speaking).

Tribe cultures develop and evolve according to the law of natural selection. Tribes with better culture are more successful. However, the more a tribe succeeds, the more its members will blindly believe in the vision of its chief and provide him with docile obedience. Alas, no environment is static. It was true back then and its is even more true today. Therefore, the culture must adapt, or its competitive edge will vanish. The more obedient the members of a tribe are, the less likely they are to innovate, and contribute to the evolution of their tribe’s culture. The incentive to innovate in old tribes often comes from a newcomer which doesn’t share the cultural bias of other members. The leader may seize this opportunity or may disregard it and, even worse, interpret this initiative as a threat to its authority and punish the innovative member accordingly. Sometimes, it is not the leader but the long-time members who develop this feeling of threat, in which case they will urge the leader to expel the newcomer. Of course, this whole process will occur hypocritically in the back of the newcomer as followers don’t have the balls to face a leader.

Followers are no less intelligent than leaders. When their chief is wrong, they most often feel it, unless the culture of their tribe has wrecked their objectivity. However, as followers, they will not dare to confront the idea of their chief, but simply show less enthusiasm. In this way, the chief may sometimes understand the message without impinging on its authority, at least not ostensibly. But when the chief is too stubborn to twig the message, the followers will hypocritically behave like if they agreed. During my career, I have even seen leaders unconsciously hire dumb assistants to assert their superiority and justify their leadership. Such behaviour is not only counter-productive but it is also a lack of true leadership. Indeed, leadership is not about intelligence but about emotional intelligence.

Whether it prevents the corporate culture from evolving or it belittles the employees who stand out, hypocrisy is a human yet serious evil which undermines corporate growth. A good president should be humble enough to hear and even encourage the ideas of his subordinates – otherwise he will not exploit their full potential. As his business grows, his role as a leader becomes more to separate the good wheat from the chaff than to actually harvest himself. A good president should also soon detect and eliminate the cancer cells of hypocrisy before metastasis spread within its organization. It can be helpful to post signs on walls stating the mission of the company and worshiping straightforwardness, transparency and even courage and boldness. However, my personal experience is that the companies that do it paradoxically possess the most hypocritical staff. Is the poster a tentative remedy for hypocrisy or is it comforting denial? I couldn’t tell.

“Principals” from Ray Dalio is an excellent book on corporate transparency. Do not just read it. Apply it too.


Monday 10 September 2018

Réaction à l'article du 31 août 2018 dans La Presse: La revanche des hurluberlus


Votre article rapporte un phénomène social réel : le végétalisme n’a jamais été aussi populaire et cette mode ne semble pas vouloir s’essouffler à court terme.

Néanmoins, au-delà des modes, des considérations environnementales, et, qui plus est, des considérations morales à l’égard des animaux, n’aurait-il pas été pertinent, ne serait-ce que d’un point de vue journalistique, de soulever dans votre article la question la plus fondamentale de toutes : ce mode alimentaire convient-il à l’être humain?

Aux dernières nouvelles, la nutrition appartient encore aux sciences de la santé et non aux sciences sociales. On ne choisit pas une mode d’alimentation comme on choisit une religion ou un parti politique.

Dans les faits, le végétalisme cause chez l’être humain des carences importantes en différents nutriments dont notamment les acides gras oméga-3 de type eicosapentaénoïque et docosahexaénoïque, deux substances essentielles à la santé mentale qu’on ne retrouve dans aucun végétal si ce n’est que de rares microalgues.  Il ne s’agit pas ici d’une opinion politique mais d’un fait scientifique reconnu unanimement par toutes les facultés universitaires de nutrition à travers le monde. D’ailleurs, d’ici 10 ans nous serons à même d’observer les répercussions négatives sur la santé de ces jeunes avant-gardistes mais malheureusement il sera trop pour eux.

Bien entendu, le végétalisme est bon pour l’environnement mais devons-nous aller jusqu’à sacrifier la santé publique au bénéfice de l’environnement? Il me semble que charité bien ordonnée commence par soi-même.

La vraie solution environnementale à mon sens consiste, d’une part, à revoir nos pratiques agricoles mais il y a un prix à payer pour cela. Le consommateur consent-il à débourser 30% de plus pour son panier d’épicerie?

D’autre part, l’autre solution qui est moins politiquement correcte que de fermer les yeux devant le végétalisme fleur bleue, est de cesser d’adopter des modèles économiques dont la viabilité repose sur une croissance démographique. Au fond, le problème central est qu’il y a déjà trop de bipèdes sur cette planète.


Thursday 1 February 2018

Tirer ou ne pas tirer, là n'est pas la question




Le palais de justice de Maniwaki a été le théâtre d’un autre triste épisode de violence policière. Plusieurs gardiens étaient en train de mater un détenu récalcitrant. Était-il opportun de lui tirer une balle dans la tête? Le gros bon sens suggère que non.

Pourquoi donc nos agents de la paix manquant-ils si souvent de jugement? Personne ne veut admettre que la réponse se trouve dans la formation qu’ils reçoivent et dont les principes nous proviennent directement de nos voisins du sud. Hélas ces derniers semblent encore trop attachés à l’époque du far West.

Essentiellement, on ne forme plus les policiers à utiliser leur jugement. On leur demande de choisir entre deux situations lors d’une altercation : leur vie n’est pas en danger ou bien leur vie est en danger. C’est blanc ou noir. Dans le premier cas, ils ne doivent pas utiliser leur arme à feu. Dans le second cas, non seulement, ils doivent l’utiliser mais en plus, ils doivent tirer pour tuer, et donc viser le cœur et/ou la tête. C’est tristement ce que l’on enseigne.

Hélas, mise à part les films d’Hollywood, la vie n’est pas noire ou blanche mais plutôt une multitude de teintes de gris. Pourquoi ne pas dégainer plus souvent mais viser moins souvent les organes vitaux? Dans 90% des cas, un coup de feu dans les jambes fera bien l’affaire et ne mettra pas en danger la vie du forcené.

J’entends déjà les défenseurs du système actuel le justifier ne serait-ce parce qu’il réduit de 1% le risque de décès d’un policier en fonction.  Que fait-on du risque de décès de la personne arrêtée? La vie d’un policier vaut-elle 100 fois plus chère que celle d’un criminel? Certains métiers comportent des risques naturels et il faut les accepter. Un pompier peut mourir alors qu’il combat un incendie. Il arrive même qu’un ouvrier meurt sur un chantier de construction. Notre société fait tout ce qu’elle peut pour prévenir ces drames mais ne pourra jamais réduire le risque à zéro. Veut-on vraiment mettre toute la population en danger pour tenter de réduire à néant le risque du policier?

C’est à nous de répondre à cette question comme société nord-américaine certes mais distincte des États-Unis. Nos valeurs ne sont pas les leurs. Aussi la formation de nos policiers devrait refléter nos valeurs, pas les leurs.

Romain Gagnon, ing.
Longueuil