L’histoire
de Guy Turcotte n’est pas banale, loin s’en faut. On n’a pas affaires ici à un
membre des Nomads mais bien à un citoyen modèle, du moins selon nos standards
habituels. Cette tragédie mérite donc une profonde réflexion. Certes, cela ne
redonnera pas la vie à ses pauvres enfants mais préviendra peut-être d’autres
drames similaires.
M. Turcotte
manque peut-être d’estime de soi, il est peut-être trop renfermé, il refoule
peut-être ses sentiments mais il y en a des centaines de milliers comme lui au
Québec. Il n’est pas un fou furieux pour autant ni même un homme violent.
Prétendre le contraire pour justifier ses actes consiste, selon moi, à jouer à
l’autruche. Hélas, nombreux sont les adeptes d’une telle vision Hollywoodienne
de la société. Les bons et les méchants n’existent que dans les films
américains. Nous sommes tous tantôt bons, tantôt méchants. Ceux qui le nient
sont justement plus à risque de péter les plombs.
Bien que
sains d'esprit, la plupart des gens ont déjà connu des fantasmes homicides à un
moment ou un autre de leur vie. Toutefois une infime proportion d’entre eux
sont passés à l'acte. Selon moi, Guy Turcotte est une statistique. Il est la
matérialisation de cette infime probabilité mathématique. Il est le grand
perdant de cette loterie émotionnelle. Évidemment cela ne pardonne pas
l'impardonnable.
J’ai bien
peur que les Guy Turcotte en puissance foisonnent dans notre société
occidentale d’aujourd’hui. Cette tragédie n'est pas un événement isolé mais la
manifestation d'un profond malaise social. Certes, les peines d'amour ont
toujours existé mais le contexte social est aujourd’hui bien différent. La
course à la performance à tout point de vue exacerbe la pression sociale sur
les individus. Le couple de Turcotte en est un exemple patent : pas une
mais deux folles professions au sein d’un même ménage. Seules les études pour
devenir cardiologue ont de quoi rendre fou. Le travail d’urgentologue
n’est très reposant non plus. On tente d’élever deux enfants à travers cela et
comme si la vie n’était pas encore assez stressante, on engage un
entraineur privé pour performer en plus sur le plan physique.
En
partant, nous avons tendance à banaliser la souffrance qu’entraine une peine
d’amour, surtout chez les hommes. Le sexe « fort » est dans les faits
souvent moins bien équipé psychologiquement pour faire face à une déchirure
amoureuse. C’est encore plus vrai quand la mère des enfants est en cause. On
dirait que la nature a programmé dans le cerveau des hommes une forme de
dépendance affective envers la mère de leur progéniture. Rajouter à cela une
insoutenable pression sociale à performer et vous obtenez un cocktail hautement
explosif.
Je suis
tous les jours la sordide histoire de Guy Turcotte dans le journal. À tous les
jours, j’en ai des frissons. Je me suis même demandé si je n’étais pas devenu
masochiste. Toutefois, ce masochisme est bienvenu s’il me protège un tant soit
peu de la tentation d’embarquer tête baissée moi-aussi dans cette
déshumanisante course à la performance.