Wednesday, 11 May 2011

Guy Turcotte et la course à la performance


L’histoire de Guy Turcotte n’est pas banale, loin s’en faut. On n’a pas affaires ici à un membre des Nomads mais bien à un citoyen modèle, du moins selon nos standards habituels. Cette tragédie mérite donc une profonde réflexion. Certes, cela ne redonnera pas la vie à ses pauvres enfants mais préviendra peut-être d’autres drames similaires.

M. Turcotte manque peut-être d’estime de soi, il est peut-être trop renfermé, il refoule peut-être ses sentiments mais il y en a des centaines de milliers comme lui au Québec.  Il n’est pas un fou furieux pour autant ni même un homme violent. Prétendre le contraire pour justifier ses actes consiste, selon moi, à jouer à l’autruche. Hélas, nombreux sont les adeptes d’une telle vision Hollywoodienne de la société. Les bons et les méchants n’existent que dans les films américains. Nous sommes tous tantôt bons, tantôt méchants. Ceux qui le nient sont justement plus à risque de péter les plombs.

Bien que sains d'esprit, la plupart des gens ont déjà connu des fantasmes homicides à un moment ou un autre de leur vie. Toutefois une infime proportion d’entre eux sont passés à l'acte. Selon moi, Guy Turcotte est une statistique. Il est la matérialisation de cette infime probabilité mathématique. Il est le grand perdant de cette loterie émotionnelle. Évidemment cela ne pardonne pas l'impardonnable.

J’ai bien peur que les Guy Turcotte en puissance foisonnent dans notre société occidentale d’aujourd’hui. Cette tragédie n'est pas un événement isolé mais la manifestation d'un profond malaise social. Certes, les peines d'amour ont toujours existé mais le contexte social est aujourd’hui bien différent. La course à la performance à tout point de vue exacerbe la pression sociale sur les individus. Le couple de Turcotte en est un exemple patent : pas une mais deux folles professions au sein d’un même ménage. Seules les études pour devenir cardiologue ont de quoi rendre fou.  Le travail d’urgentologue n’est très reposant non plus. On tente d’élever deux enfants à travers cela et comme si la vie n’était  pas encore assez stressante, on engage un entraineur privé pour performer en plus sur le plan physique.

En partant, nous avons tendance à banaliser la souffrance qu’entraine une peine d’amour, surtout chez les hommes. Le sexe « fort » est dans les faits souvent moins bien équipé psychologiquement pour faire face à une déchirure amoureuse. C’est encore plus vrai quand la mère des enfants est en cause. On dirait que la nature a programmé dans le cerveau des hommes une forme de dépendance affective envers la mère de leur progéniture. Rajouter à cela une insoutenable pression sociale à performer et vous obtenez un cocktail hautement explosif.

Je suis tous les jours la sordide histoire de Guy Turcotte dans le journal. À tous les jours, j’en ai des frissons. Je me suis même demandé si je n’étais pas devenu masochiste. Toutefois, ce masochisme est bienvenu s’il me protège un tant soit peu de la tentation d’embarquer tête baissée moi-aussi dans cette déshumanisante course à la performance.