Les erreurs de gestion ne préviennent pas nécessairement la croissance d’une entreprise, en autant que l’entrepreneur les reconnaisse, les corrige et surtout ne les reproduise pas. Par définition, un entrepreneur est un homme ou une femme d’action. Or, dans l’action, forcément on commet parfois des erreurs. Ce qui compte au fond n’est le nombre de mauvais coups en valeur absolue mais le ratio entre les bons et es mauvais. Or, à l’instar d’un employé, l’entrepreneur atteint éventuellement lui-aussi son « niveau de Peter’s »; cela se produit quand justement il reproduit inlassablement les mêmes erreurs. Quand la croissance de son entreprise stagne, il est temps pour l’entrepreneur de se demander : « quel pattern suis-je en train de répéter qui m’empêche de passer au prochain niveau dans la croissance de mon entreprise? ».
Il existe plusieurs patterns néfastes à la croissance d’une entreprise mais celui dont il est question ici est d’allumer des feux de paille. Cet article s’adresse aux entrepreneurs manufacturiers ou en informatique innovateurs qui disposent d’un département de recherche-développement au sein de leur entreprise. Parfois, ce département a été fondé à l’occasion d’une société start-up basée un projet précis de développement de produit et un financement associé. Néanmoins, la plupart du temps ce département s’est développé au fil des ans tout comme les produits alors que l’entreprise a démarré dans le service. Les contrats de service ont ainsi financé les premiers produits alors que l’entreprise n’avait pas encore ses propres ressources financières pour ce faire. Les entreprises de service sont moins gourmandes en capital de départ et ainsi plus faciles à démarrer. Avec les années, l’entreprise bâtit ses fonds propres et peut ensuite financer ses propres projets de recherche-développement.
Un contrat de service procure souvent une belle opportunité pour développer son propre produit. En effet, il est rare qu’un produit développé sur mesure pour répondre au besoin d’un client spécifique ne puisse être adapté et ensuite vendu à d’autres clients par la suite. Par exemple, AM General avait développé le véhicule tout terrain Humvee pour l’Armée américaine et l’a ensuite adapté au marché civil et revendu en 1992 sous la marque Hummer. En 1999, la marque a été vendue à General Motors. Ce cas est beaucoup plus typique que les produits qui naissent d’une start-up. Il est surtout moins risqué. Encore faut-il porter une attention particulière à la propriété intellectuelle. Si le client original détient les droits du produit développé, il doit accorder une licence au développeur, surtout si un brevet est en cause. Dans le cas des logiciels protégés par le droit d’auteur, il est beaucoup plus facile de contourner ce problème.
La qualité première d’un entrepreneur est d’être opportuniste. D’ailleurs, la plupart du temps, les entreprises naissent d’une opportunité. En exploitant cette opportunité, l’entrepreneur est alors exposé au fil du temps à de nouvelles opportunités qui lui procurent de nouveaux contrats de service et/ou de nouveaux produits. Il est plutôt rare que l’opportunité originale fasse vivre une entreprise tout au long de son existence. La plupart du temps, l’entrepreneur se retrouve à vendre des produits après quelques années qu’il n’aurait jamais imaginer lors de la fondation de l’entreprise. Ce phénomène est sain et témoigne du sens opportuniste de l’entrepreneur et sa capacité d’adaptation.
Au fur et à mesure que les ventes croissent, le nombre de clients augmente et les opportunités se multiplient. Au départ, l’entrepreneur a tendance à sauter sur toutes les occasions mais avec le temps l’entreprise définit sa mission et les nouveaux projets doivent s’enligner avec cette dernière. Certains entrepreneurs demeurent des chasseurs tout au long de leur carrière alors que d’autres sont plutôt des fermiers et développent une solide équité avec le temps. Or pierre qui roule n’amasse pas mousse et les entreprises qui excellent sont celles qui finissent par comprendre leur avantage concurrentiel et définir leur proposition de valeur. L’entreprise offre-t-elle un meilleur prix? Un meilleur produit? Un service mieux personnalisé? Les réponses à ces questions définissent l’ADN de l’entreprise. Or, l’entrepreneur doit uniquement considérer les projets compatibles avec cette ADN sinon la greffe ne tiendra pas; les autres opportunités sont en fait des distractions.
Une PME de 50 employés n’a évidemment pas les mêmes moyens financiers qu’une entreprise de 5000 employés. Néanmoins, dans les deux cas, les ressources financières et humaines sont limitées et doivent être gérées avec parcimonie. Donc, en plus d’éliminer les opportunités incompatibles avec l’ADN de son entreprise, l’entrepreneur doit classer les opportunités restantes en ordre de valeur parce que les munitions sont limitées et l’entreprise doit concentrer son tir sur les meilleures cibles. Don’t be a loose cannon! La vraie question n’est pas de savoir si les opportunités sont rentables ou non mais de déterminer lesquelles offrent le meilleur retour sur investissement. C’est la fameuse notion de « low hanging fruit ». Quand on cueille un pommier, on commence par les pommes à porter de main avant de mettre l’escabeau pour atteindre le dernier fruit au faîte de l’arbre.
Quand un client exprime un besoin et qu’une opportunité de produit se dessine autour de ce besoin, avant de lancer tête baissée dans le développement, il faut évaluer si l’effort procurera un effet de levier véritable; autrement dit, l’entreprise pourra-t-elle vendre le même produit ou une version apparentée à d’autres clients? Cette question est primordiale car il est monnaie courante de sous-estimer les coûts véritables de développement et aussi les coûts de support par la suite. En d’autres mots, le jeu en vaut-il la chandelle? Même si le client offre de payer le développement, cette question demeure pertinente car pendant que l’équipe de R&D travaille sur ce projet, elle retarde l’avancement de ses autres projets; il faut donc aussi tenir compte du coût d’opportunité.
Une erreur classique est d’embarquer dans un projet dont les retombées sont incertaines mais en limitant les budgets de recherche-développement pour compenser. Ce faisant, l’équipe de R&D met sur le marché un produit défaillant et les coûts ultérieurs en support de garantie dépassent de loin les économies réalisées au départ, et ce, sans compter les dommages intangibles causés à l’entreprise comme la réputation de fiabilité qui en prend pour son rhume.
Une autre erreur classique consiste à courir après trop d’opportunités à la fois. Or, qui trop embrasse mal étreint. Au lieu d’être dixième dans dix secteurs, il vaut mieux être premier dans un seul secteur; en effet, les dixièmes ne gagnent jamais la médaille d’or. L’entreprise devient ainsi un leader dans son domaine au lieu d’offrir un « me too product ». Évidemment cette approche a l’inconvénient de concentrer les œufs dans moins de paniers. Il devient alors d’autant plus judicieux de bien choisir sa ou ses niche(s) de marché.
Bref l’entrepreneur doit apprendre à parfois dire « non » à un client mais cela est contre sa nature. Un bon entrepreneur veut toujours plaire à son client; cela fait partie de la définition d’un entrepreneur. Néanmoins, il vaut mieux créer une petite déception immédiatement plutôt qu’une grosse déception plus tard quand l’entreprise abandonnera le support du produit faute de rentabilité.
Lancer un produit peut se comparer à allumer un feu de foyer. L’entrepreneur dispose de grosses bûches de bois, de petit bois d’allumage, de papier et d’allumettes. L’objectifs est de générer beaucoup de chaleur (profits) pendant longtemps. Les bûches (gros marchés) sont idéales pour ce faire mais en revanche sont difficiles à allumer. Le petit bois, et encore plus le papier (petites opportunités) sont faciles à allumer, génèrent rapidement une flame vive mais passagère. Les allumettes (les fonds dont l’entrepreneur dispose) sont comptées.
La bonne pratique consiste à allumer le papier avec les allumettes, ensuite le petit bois avec les flammes du papier et finalement les grosses bûches avec les flammes du petit bois. Il est normal pour l’entrepreneur au départ de n’allumer que des feux de paille (papier) car ses ressources (allumettes) sont limitées et il a besoin rapidement de profit. Néanmoins une entreprise ne suivit pas longtemps avec un feu de paille. Au cours de ma carrière, j’ai connu des entrepreneurs qui ont allumé des feux de paille toute leur vie mais ils ont dû travailler bien fort pour finalement prendre leur retraite en vendant une entreprise qui avait accumulé peu d’équité.
Quand une entreprise a atteint une certaine maturité, il est temps d’allumer d’arrêter d’allumer des feux de paille et de s’intéresser aux bûches. À chaque opportunité qui se présente, il faut se poser la question : « Suis-je en train d’allumer un autre feu de paille ou bien ce produit deviendra cette fois-ci une source de profit durable qui propulsera l’entreprise à un niveau supérieur? ». Autrement dit, le produit développé pour un client spécifique pourra-t-il être revendu à plusieurs clients par la suite? Hélas, il est souvent difficile de revendre, tel quel, un produit développé sur mesure. Développer un produit générique, a fortiori une gamme de produits, est beaucoup plus complexe que de développer un produit à partir de spécifications précises pour un client donné. En partant, il faut établir les spécifications du produit générique et cela requiert une étude de marché.
Obtenir un contrat de développement, une commande spécifique ou simplement une promesse d’achat peut donner un bon coup de pouce sur le plan financier mais il y a loin de la coupe aux lèvres. L’entreprise devra investir de l’argent de sa poche pour passer d’un produit qui répond à un besoin spécifique à un produit qui répond à un besoin générique. Des versions bêta devront être testées avant de mettre le produit en marché. Des utilisateurs devront être trouvés pour tester ces versions bêta. Une erreur classique consiste à mettre en marché une version bêta d’un produit. D’abord, c’est malhonnête face au client. Ensuite, cela peut coûter une fortune ultérieurement en support de garantie. Ultimement, si la défaillance de produit cause un dommage indirect important au client, une poursuite judiciaire pourrait mettre l’entreprise en faillite. Dans certaines juridictions, les clauses contractuelles de protection contre le dommage indirect (incidental dammage aux États-Unis) sont nulles et sans effet.
Au cours de ma carrière, j’ai rarement vu de poursuites en dommage indirect. Cependant, j’ai souvent vu des réputations d’entreprise détruites par des produits défaillants voire même simplement des livraisons tardives. La référence d’un client est souvent le meilleur outil marketing, surtout dans le commerce B2B. À quoi bon alors investir massivement dans la promotion d’un produit si les problèmes de fiabilité détruisent tous ces efforts? Un produit mis en marché précocement s’avèrera souvent un feu de paille. Un produit mis en marché précocement attirera l’attention des compétiteurs. Pendant que notre entreprise répare ses pots cassés, certains compétiteurs développent un produit concurrentiel et l’avantage stratégique du timing est perdu. C’est notamment pourquoi, chez Apple, les employés signent des conventions de confidentialité musclées.
En terminant, quand vous partez un feu de foyer, évitez de lancer vos allumettes allumées dans toutes les directions. Concentrez-vous dans un petit coin. Prenez soin d’allumer le papier. Ensuite le petit bois avec le papier. Et éventuellement la grosse bûche avec le petit bois. C’est ainsi qu’on conquiert de gros marchés avec des ressources limitées. Bien allumer un petit coin revient à devenir premier dans une niche de marché en particulier. Ensuite, fort de ce succès, attaquez (allumez) la niche voisine et ainsi de suite. Si au contraire vous allumez négligemment plusieurs endroits simultanément, un bon coup de vent (récession) peut tout éteindre en même temps mais là, vous n’avez plus d’allumettes. Je n’ai pas inventé cette image. Elle provient du célèbre livre de marketing high tech: « Crossing the chasm[1] ».
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