Wednesday, 16 October 2019

Le conflit d’intérêt du président




Dans les grandes et la plupart des moyennes sociétés par actions, le président n’est pas un actionnaire de contrôle, et souvent ni même un actionnaire minoritaire. Le cas échéant, les actionnaires sont des investisseurs qui cherchent un retour sur leur investissement et le conseil d’administration est le véritable patron du président de l’entreprise. Le conseil d’administration détermine son salaire et décide de son embauche. Or, faut-il rappeler que l’objectif d’une entreprise à but lucratif est… d’être lucrative et non de se substituer à l’état dans son rôle social ou législatif. Bien sûr, plusieurs entreprises posent des gestes concrets pour l’environnement ou encore contribuent à une cause charitable mais rehausser son image sociale n’est qu’une stratégie parmi d’autres pour accroître la rentabilité. Ultimement, le conseil d’administration remerciera tout président qui n’apporte pas la rentabilité anticipée, et ce, indépendamment de ses bonnes œuvres.

Comme tout autre employé – et a fortiori un fonctionnaire de l’état - le président d’une grande entreprise travaille d’abord pour son intérêt personnel. Théoriquement, son intérêt devrait converger avec celui de l’entreprise, mais ce n’est pas toujours le cas. Afin de diminuer le syndrome dit du fonctionnaire, une partie de la rémunération du président est généralement variable et fonction d’un indicateur de performance, typiquement la rentabilité de l’entreprise. Les deux formules les plus populaires sont la participation au profit et la participation à l’actionnariat. Il arrive aussi que l’indicateur de performance soit la croissance du chiffre d’affaires mais cette formule est plus courante chez les représentants des ventes.

Malheureusement, aucune formule de rémunération variable n’est exempte de tout biais. En général, les présidents non-actionnaires demeurent employés moins longtemps dans l’entreprise et ont souvent une vision de développement davantage axée sur le court terme. Or, les intérêts à long terme d’une entreprise divergent parfois de ses intérêts à court terme. Quand les présidents se succèdent trop rapidement, l’entreprise n’est pas toujours gérée dans son meilleur intérêt. Nous l’avons vu avec Sears Canada qui fût à une certaine époque un fleuron de la vente au détail au pays. Avec ses 900 comptoirs de vente au Canada et l’impressionnante infrastructure logistique qui les supportait, Sears était en meilleure position qu’Amazon pour réaliser son propre modèle d’affaires. Hélas, l’histoire s’est déroulée autrement. Au lieu de faire preuve d’audace et de vision, les présidents successifs de l’entreprise ont préféré miser sur la rentabilité à court terme de l’entreprise afin d’encaisser leurs juteux bonis. En bon québécois, ils ont pressé le citron pendant les dernières bonnes années de sorte que l’entreprise n’avait plus les moyens financiers de se réinventer face à un marché au détail complètement métamorphosé et a fini par déposer son bilan l’an dernier.

Dans les petites et certaines moyennes sociétés par actions, le président de l’entreprise est souvent actionnaire majoritaire sinon unique actionnaire. Comme il contrôle l’assemblée des actionnaires, il est de facto le patron du conseil d’administration et non son véritable subordonné. Le cas échéant, le conseil d’administration joue davantage un rôle de conseil que de direction. C’est pourquoi, les PME se dotent souvent d’un conseil aviseur au lieu d’un conseil d’administration formel; les conseillers évitent ainsi la responsabilité légale qui accompagne le poste d’administrateur. Un tel conseil aviseur est le bienvenu car le président trop absorbé dans les affaires courantes de l’entreprise manque parfois de recul stratégique. Comme le dit le vieil adage : trop proche de l’arbre, on ne voit plus la forêt.

En principe le président d’une PME vise l’intérêt de l’entreprise puisqu’il est lui-même actionnaire. Donc le conflit d’intérêt décrit précédemment n’existe pas. Néanmoins, une autre forme de conflit d’intérêts s’installe souvent. En effet, le président d’une PME n’a pas de patron, donc personne pour l’évaluer ni pour veiller à sa performance financière. Or, le président d’une PME est un être humain comme les autres et dont les intérêts personnels ne se limitent pas forcément au domaine pécunier. Par exemple, un président peut prendre une décision écologique dont l’impact positif sur l’image de marque de l’entreprise n’en justifie pas le coût. En agissant ainsi, le président se comporte en citoyen responsable, et pas juste en homme d’affaires obnubilé par la rentabilité. Toutefois, les ambitions environnementales du président entrent alors en conflit d’intérêt avec son rôle de dirigeant et un vrai conseil d’administration l’aurait semoncé.

Hélas, les cas de conflit d’intérêt de président de PME ne sont pas toujours aussi nobles que dans l’exemple précédent. Il serait naïf de croire qu’un président agit toujours pour le bénéfice de son entreprise. Plusieurs présidents apprécient la liberté que procure leur poste tout autant que ses avantages financiers (d’ailleurs, certains présidents seraient même mieux rémunérés si employés dans une plus grande entreprise).  D’autres présidents ont une personnalité si bourrue qu’ils ne peuvent tout simplement pas supporter un patron. Finalement, certains présidents de PME aiment bien le prestige lié à leur poste mais sont en réalité de piètres gestionnaires; ils ne feraient pas long feu dans une grande entreprise. En effet, les conseils d’administration ne tolèrent pas l’incompétence. 

Cela dit, même s’il s’avère mauvais gestionnaire, un entrepreneur est souvent un visionnaire dans son industrie. Le cas échéant, je lui conseille de rester président mais de s’engager un bon gestionnaire comme directeur général. Les meilleurs comptables font généralement les pires vendeurs et vice-versa. Au cours de ma carrière de consultant, j’ai même conseillé à un administrateur de congédier son directeur général… Or, les deux personnes étaient la même!

Le rôle d’un président est bien différent de celui d’un directeur général. Le premier est responsable de la vision stratégique de l’entreprise et de son image alors que le second s’occupe plus discrètement de faire fonctionner la machine. Les deux postes appellent d’ailleurs à des profils de personnalité différents, soit typiquement un président créatif et flamboyant et un directeur général méthodique et à l’écoute de ses employés.

Un président de PME est comme un chef d’orchestre. Il doit maîtriser tous les instruments de son orchestre sans nécessairement être spécialiste d’aucun. Or, aucun dirigeant ne présente une performance égale en finances, ventes, marketing, ressources humaines et opérations et le point faible d’un président sera assurément le maillon faible de son entreprise. Un président humble et clairvoyant s’entourera donc d’une équipe exécutive qui compense ses faiblesses. Malheureusement, trop de présidents sont orgueilleux et préfèrent inconsciemment s’entourer de gens faibles afin de ménager leur égo. Voilà un autre cas flagrant et courant de conflit d’intérêt.

Sunday, 6 October 2019

Le mirage du véganisme



La cause environnementale a le vent en poupe et c’est tant mieux. Il est temps d’entreprendre des actions concrètes pour l’environnement comme notamment instaurer une taxe sur le carbone qui reflète le vrai coût environnemental et revoir nos pratiques agricoles afin de cesser d’empoisonner nos terres et cours d’eau. 

Dans cette foulée, d’aucuns prétendent qu’on devrait également cesser la consommation de protéines animales. Hélas, malgré l’engouement actuel pour le véganisme, il s’agit d’une fausse bonne idée, d’où le vieil adage : l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Pour juger du bien-fondé du véganisme, il faut d’abord poser la plus fondamentale des questions:  une diète végétalienne convient-elle au métabolisme de l’être humain? Or, la réponse est la même que pour tout autre mammifère prédateur. C’est non.

Vitamine B12

Plusieurs substances essentielles à la santé du système nerveux ne se retrouvent que dans les produits animaliers et ne sont pas ou peu synthétisées par le métabolisme d’un mammifère prédateur. Il s’agit notamment de la vitamine B12. Le végan doit donc obligatoirement consommer des suppléments alimentaires de B12 pour combler les carences de son alimentation. Or, une diète qui nécessite des suppléments alimentaires est, par définition, une diète incomplète. CQFD.

Oméga-3

La diète végétalienne est également exempte de deux autres substances essentielles à la santé mentales : les acides oméga-3 dits eicosapentanoique (AEP) et docosahexaenoique (ADH). Ces deux acides gras ne doivent pas être confondus avec l’acide gras oméga-3 dit linolénique alpha (ALA) qu’on retrouve dans nombre de végétaux dont la graine de lin. Or, ces substances nécessaires au bon fonctionnement du cerveau ne se retrouvent dans aucun végétal outre quelques rares microalgues. La consommation de ces dernières est donc primordiale car une carence en ADH et AEP produit des effets désastreux[1]. En effet, une carence prénatale ou postnatale nuit notamment au développement de l’acuité visuelle et des aptitudes cognitives du nouveau-né et entraîne même des problèmes de comportement et maladies psychiatriques[2]. La consommation d’ADH et AEP est donc essentielle durant la grossesse et l’allaitement[3]. Une carence pendant l’enfance et l’adolescence augmente significativement les risques de dyslexie[4], d’autisme[5], d’hyperactivité[6], d’amnésie[7], de problèmes de langage[8], d’apprentissage[9], et de comportement[10]. De façon générale, les enfants dont l’alimentation est déficiente en ADH développent un cerveau plus petit[11] et un quotient intellectuel inférieur[12]. Avis aux gens d’affaires, politiciens et courtiers : l’ADH protège contre le stress. En revanche, sa déficience en période de stress expliquerait le comportement criminel[13]. Plusieurs études modernes suggèrent que l’ADH a un impact direct sur la santé mentale[14].
Certes, d’autres études suggèrent que le véganisme favoriserait la santé cardiovasculaire. Cependant, la santé mentale n’est-elle pas préférable à quelques années de longévité supplémentaire? Cela dit, la méthodologie des dites études est controversée, pour ne pas dire biaisée par l’agenda politique de leurs auteurs (par exemple, le groupe de référence est constitué de gens physiquement inactifs et mangeurs de malbouffe). Quoiqu’il en soit, avec la popularité grandissante du véganisme, les données cliniques s’accumulent rapidement et le temps rendra bientôt son verdict.
En définitive, une diète végane n’est viable que dans la mesure où son adepte possède de solides connaissances scientifiques dans le domaine de la nutrition et suit étroitement son bilan sanguin, ce qui ne sera jamais le cas du commun des citoyens. Donc, au mieux, il s’agit d’une diète qui convient à une minorité d’intellectuels bien vaillants. De plus, il n’est pas garanti que les suppléments de B12 d’origine synthétique remplacent en tous points la substance naturelle originale.

Cruauté animale

Outre la dimension nutritionnelle, on peut aussi légitimement questionner la moralité du véganisme. En effet, afin d’éviter aux animaux d’élevage de souffrir, la doctrine végane leur enlève la chance même de vivre. À titre de comparaison, au début de la révolution industrielle, des patrons ont souvent abusé de leurs travailleurs. Était-ce une raison pour fermer les manufactures? Non. L’état s’est plutôt attaqué au vrai problème et a légiféré de sorte à protéger les droits des employés. Alors pourquoi ne pas faire de même ici et s’attaquer aussi au vrai problème qui est la cruauté animale? À l’instar des normes du travail, l’état doit légiférer l’agriculture afin de protéger les droits des animaux. Bien sûr, la viande élevée éthiquement coûte plus cher mais une telle hausse modèrera justement l’appétit des grands carnivores. En effet, la loi du marché sera toujours plus efficace que l’éducation pour modifier le comportement des consommateurs.

Écologie

Finalement, des agronomes remettent aussi en cause les bénéfices écologiques du véganisme. Encore une fois, pourquoi ne pas s’attaquer ici au vrai problème? La technologie existe pour faire face aux défis écologiques de l’heure mais elle ne favorise pas nécessairement l’establishment industriel actuel et c’est là que le bât blesse. En effet, ce n’est pas la communauté scientifique qui dicte l’agenda environnemental de nos dirigeants politiques mais bien le puissant lobby industriel.
Le véganisme fait fausse route en préconisant la monoculture avec engrais chimiques et donc forcément l’utilisation de semences transgéniques, d’herbicides et d’insecticides qui en découle. Au contraire, il faut décentraliser et diversifier la ferme. De plus, le pâturage demeure encore la meilleure technique pour exploiter les terres infertiles et, combiné à la rotation des cultures, pour restaurer la biomasse de nos terres arables affaiblie par des décennies d'agriculture sauvage. Or, cette biomasse constitue le réservoir naturel pour séquestrer l'excédent de carbone de l’atmosphère et ainsi renverser le processus de réchauffement de la planète.

Évidemment, les industriels préfèrent continuer à nous vendre leurs semences transgéniques et leurs engrais chimiques et pesticides associés. La mode végane constitue donc pour eux une véritable bénédiction car elle accentue la dépendance de la population envers les Beyond Meat et autres agro-industriels. Aussi ne faut-il pas s'étonner que l’industrie supporte financièrement les activistes végans en quête de notoriété. C’était notamment le cas du célèbre sportif et youtubeur britannique Tim Shieff depuis 2012. Hélas, il subit désormais l’opprobre de la communauté végane parce que des raisons de santé, voire de survie l’ont contraint tout récemment à recommencer à manger des protéines animales.
  
Romain Gagnon, ing.


[1] Connor, W.E. « Importance of n-3 fatty acids in health and disease », American Journal of Clinical Nutrition, vol. 71, no 1, 2000; James, M. J. et coll. « Dietary polyunsaturated fatty acids and inflammatory mediator production », American Journal of Clinical Nutrition, vol. 71, no 1, 2000; Kremer, J. M.. « n-3 Fatty acid supplements in rheumatoid arthritis », American Journal of Clinical Nutrition, vol. 71, no 1, 2000.
[2] Fugh-Berman, A., J. M. Cott. « Dietary Supplements and Natural Products as Psychotherapeutic Agents », Psychosomatic Medicine, vol. 61, no 5,1999, p. 712-28.
[3] Matorras, R. et coll. « Longitudinal study of fatty acids in plasma and erythrocyte phospholipids during pregnancy » J Perinat Med., vol. 29, no 4, 2001, p. 293-7; Hibbeln, J. R. « Seafood consumption, the DHA content of mothers' milk and prevalence rates of postpartum depression: a cross-national, ecological analysis », J Affect Disord. vol 69, no 1-3, 2002, p. 15-29; Helland, I. B. et coll. « Similar Effects on Infants of n-3 and n-6 Fatty Acids Supplementation to Pregnant and Lactating Women » Pediatrics vol. 108, no 5, 2001.
[4] Richardson, A.J. et M.A. Ross. «Fatty acid metabolism in neurodevelopmental disorder: a new perspective on associations between attention-deficit/hyperactivity disorder, dyslexia, dyspraxia and the autistic spectrum», Prostaglandins Leukot Essential Fatty Acids, vol. 63, no 1-2, 2000.
[5] Richardson, A.J. et B.K. Puri. « The potential role of fatty acids in attention-deficit/hyperactivity disorder », Prostaglandins Leukot Essent Fatty Acids, vol. 63, no 1-2, 2000.
[6] Mitchell, E.A. et coll. «The effects of essential fatty acid supplementation by Efamol in hyperactive children », J Abnorm Child Psycho, vol. 15, no 1, 1987.
[7] Richardson, A.J. et coll. «Eicosapentaenoic acid treatment in schizophrenia associated with symptom remission, normalisation of blood fatty acids, reduced neuronal membrane phospholipid turnover and structural brain changes», Int J Clin Pract., vol. 54, no 1, 2000.
[8] Taylor, K.E. et coll. «Visual function, fatty acids and dyslexia» Prostaglandins Leukot Essent Fatty Acids, vol. 63, no 1-2, 2000.
[9] Stordy, B.J., «Dark adaptation, motor skills, docosahexaenoic acid, and dyslexia» American Journal of Clinical Nutrition, vol. 71, no 1 (suppl.), 2000, p. 323-326.
[10] Burgess, J.R. et coll. « Long-chain polyunsaturated fatty acids in children with attention-deficit hyperactivity disorder » American Journal of Clinical Nutrition, vol. 71, no 1, 2000, p. 327-330.
[11] Castellanos, F.X. et coll. «Developmental trajectories of brain volume abnormalities in children and adolescents with attention-deficit/hyperactivity disorder » JAMA, vol. 288, no 14, 2002.
[12] Mortensen, E.L. et coll. «The association between duration of breastfeeding and adult intelligence » JAMA, vol. 287, no 18, 2002.
[13] Sawazaki, S. et coll. «The effect of docosahexaenoic acid on plasma catecholamine concentrations and glucose tolerance during long-lasting psychological stress: a double-blind placebo-controlled study », J Nutr Sci Vitaminol (Tokyo), vol. 45, no 5, 1999.
[14] Hillbrand, M. et coll. « Investigating the role of lipids in mood, aggression, and schizophrenia », Psychiatric Services, vol. 48, no 7, 1997; Fugh-Berman, A. et Cott, J.M. « Dietary Supplements and Natural Products as Psychotherapeutic Agents », Psychosomatic Medicine, vol. 61, no 5, 1999.