Dans les
grandes et la plupart des moyennes sociétés par actions, le président n’est pas
un actionnaire de contrôle, et souvent ni même un actionnaire minoritaire. Le
cas échéant, les actionnaires sont des investisseurs qui cherchent un retour
sur leur investissement et le conseil d’administration est le véritable patron
du président de l’entreprise. Le conseil d’administration détermine son salaire
et décide de son embauche. Or, faut-il rappeler que l’objectif d’une entreprise
à but lucratif est… d’être lucrative et non de se substituer à l’état dans son
rôle social ou législatif. Bien sûr, plusieurs entreprises posent des gestes concrets
pour l’environnement ou encore contribuent à une cause charitable mais rehausser
son image sociale n’est qu’une stratégie parmi d’autres pour accroître la rentabilité.
Ultimement, le conseil d’administration remerciera tout président qui n’apporte
pas la rentabilité anticipée, et ce, indépendamment de ses bonnes œuvres.
Comme tout
autre employé – et a fortiori un fonctionnaire de l’état - le président d’une
grande entreprise travaille d’abord pour son intérêt personnel. Théoriquement, son
intérêt devrait converger avec celui de l’entreprise, mais ce n’est pas toujours
le cas. Afin de diminuer le syndrome dit du fonctionnaire, une partie de la rémunération
du président est généralement variable et fonction d’un indicateur de
performance, typiquement la rentabilité de l’entreprise. Les deux formules les
plus populaires sont la participation au profit et la participation à l’actionnariat.
Il arrive aussi que l’indicateur de performance soit la croissance du chiffre d’affaires
mais cette formule est plus courante chez les représentants des ventes.
Malheureusement,
aucune formule de rémunération variable n’est exempte de tout biais. En
général, les présidents non-actionnaires demeurent employés moins longtemps
dans l’entreprise et ont souvent une vision de développement davantage axée sur
le court terme. Or, les intérêts à long terme d’une entreprise divergent parfois
de ses intérêts à court terme. Quand les présidents se succèdent trop rapidement,
l’entreprise n’est pas toujours gérée dans son meilleur intérêt. Nous l’avons
vu avec Sears Canada qui fût à une certaine époque un fleuron de la vente au
détail au pays. Avec ses 900 comptoirs de vente au Canada et l’impressionnante infrastructure
logistique qui les supportait, Sears était en meilleure position qu’Amazon pour
réaliser son propre modèle d’affaires. Hélas, l’histoire s’est déroulée
autrement. Au lieu de faire preuve d’audace et de vision, les présidents
successifs de l’entreprise ont préféré miser sur la rentabilité à court terme
de l’entreprise afin d’encaisser leurs juteux bonis. En bon québécois, ils ont
pressé le citron pendant les dernières bonnes années de sorte que l’entreprise n’avait
plus les moyens financiers de se réinventer face à un marché au détail
complètement métamorphosé et a fini par déposer son bilan l’an dernier.
Dans les
petites et certaines moyennes sociétés par actions, le président de l’entreprise
est souvent actionnaire majoritaire sinon unique actionnaire. Comme il contrôle
l’assemblée des actionnaires, il est de facto le patron du conseil d’administration
et non son véritable subordonné. Le cas échéant, le conseil d’administration
joue davantage un rôle de conseil que de direction. C’est pourquoi, les PME se
dotent souvent d’un conseil aviseur au lieu d’un conseil d’administration
formel; les conseillers évitent ainsi la responsabilité légale qui accompagne
le poste d’administrateur. Un tel conseil aviseur est le bienvenu car le
président trop absorbé dans les affaires courantes de l’entreprise manque
parfois de recul stratégique. Comme le dit le vieil adage : trop proche
de l’arbre, on ne voit plus la forêt.
En principe
le président d’une PME vise l’intérêt de l’entreprise puisqu’il est lui-même actionnaire.
Donc le conflit d’intérêt décrit précédemment n’existe pas. Néanmoins, une
autre forme de conflit d’intérêts s’installe souvent. En effet, le président d’une
PME n’a pas de patron, donc personne pour l’évaluer ni pour veiller à sa
performance financière. Or, le président d’une PME est un être humain comme les
autres et dont les intérêts personnels ne se limitent pas forcément au domaine pécunier.
Par exemple, un président peut prendre une décision écologique dont l’impact positif
sur l’image de marque de l’entreprise n’en justifie pas le coût. En agissant
ainsi, le président se comporte en citoyen responsable, et pas juste en homme d’affaires
obnubilé par la rentabilité. Toutefois, les ambitions environnementales du président
entrent alors en conflit d’intérêt avec son rôle de dirigeant et un vrai
conseil d’administration l’aurait semoncé.
Hélas, les
cas de conflit d’intérêt de président de PME ne sont pas toujours aussi nobles
que dans l’exemple précédent. Il serait naïf de croire qu’un président agit
toujours pour le bénéfice de son entreprise. Plusieurs présidents apprécient la
liberté que procure leur poste tout autant que ses avantages financiers (d’ailleurs,
certains présidents seraient même mieux rémunérés si employés dans une plus grande
entreprise). D’autres présidents ont une
personnalité si bourrue qu’ils ne peuvent tout simplement pas supporter un
patron. Finalement, certains présidents de PME aiment bien le prestige lié à
leur poste mais sont en réalité de piètres gestionnaires; ils ne feraient pas
long feu dans une grande entreprise. En effet, les conseils d’administration ne
tolèrent pas l’incompétence.
Cela dit, même
s’il s’avère mauvais gestionnaire, un entrepreneur est souvent un visionnaire dans
son industrie. Le cas échéant, je lui conseille de rester président mais de s’engager
un bon gestionnaire comme directeur général. Les meilleurs comptables font
généralement les pires vendeurs et vice-versa. Au cours de ma carrière de
consultant, j’ai même conseillé à un administrateur de congédier son directeur
général… Or, les deux personnes étaient la même!
Le rôle d’un
président est bien différent de celui d’un directeur général. Le premier est
responsable de la vision stratégique de l’entreprise et de son image alors que
le second s’occupe plus discrètement de faire fonctionner la machine. Les deux
postes appellent d’ailleurs à des profils de personnalité différents, soit typiquement
un président créatif et flamboyant et un directeur général méthodique et à l’écoute
de ses employés.
Un
président de PME est comme un chef d’orchestre. Il doit maîtriser tous les instruments
de son orchestre sans nécessairement être spécialiste d’aucun. Or, aucun dirigeant
ne présente une performance égale en finances, ventes, marketing, ressources
humaines et opérations et le point faible d’un président sera assurément le
maillon faible de son entreprise. Un président humble et clairvoyant s’entourera
donc d’une équipe exécutive qui compense ses faiblesses. Malheureusement, trop
de présidents sont orgueilleux et préfèrent inconsciemment s’entourer de gens
faibles afin de ménager leur égo. Voilà un autre cas flagrant et courant de
conflit d’intérêt.
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