Il y a
longtemps que je n’étais pas sorti en boîte à Montréal. Le choc fut d’autant plus
brutal. Les femmes minces y étaient toutes âgées d’au moins trente ans sinon
quarante. A contrario, les plus jeunes étaient grassettes, voire carrément rondes
C’est le monde à l’envers.
Non
seulement l’obésité s’est répandue au pays comme un feu de paille, mais le plus
alarmant est qu’elle est désormais socialement acceptée et acceptable. À mon
époque, les quelques rares adolescentes obèses étaient rarement convoitées.
Aujourd’hui, les bourrelets sont devenus la norme esthétique. Tant mieux pour les
grosses si elles ne sont plus
marginalisées socialement. Toutefois, cette nouvelle tendance comporte le
fâcheux inconvénient de banaliser l’obésité qui est devenu, au fil des ans, la
principale cause de mortalité. L’obésité, faut-il le rappeler, n’est pas un
problème d’esthétique ou de morale mais bien de santé publique.
Pour
expliquer l’obésité infantile, on accuse sans détour la sédentarité des jeunes
et leur alimentation malsaine. Or nos mères, bien qu’elles fussent
incontestablement plus actives que nos adolescentes d’aujourd’hui, pratiquaient
beaucoup moins de sports que les garçons. Pourtant, la plupart étaient encore
minces et désirables à vingt ans. Mon point est qu’il n’est pas nécessaire d’être un athlète
pour maintenir sa ligne. Paradoxalement, certaines adolescentes d’aujourd’hui s’engagent
activement dans des équipes de sport, et pourtant elles sont tout de même plus
enrobées que leur mère au même âge.
Il est
inutile de chercher bien loin la cause de l’obésité infantile : nos
jeunes, en particulier nos jeunes filles, ont changé d’alimentation. Bien sûr,
les milliards dépensés chaque année en publicité par les géants de la malbouffe
ont contribué à ce changement. Leurs gourous en marketing ont réussi à
reprogrammer la relation de nos enfants avec la nourriture C’est pourquoi
McDonald’s installait de coûteux mais captivants parcs dans leurs restaurants
il y a vingt ans : très tôt dans leur développement psychologique, ils
associaient ainsi malbouffe et plaisirs dans la tête de nos enfants. C’est
précisément cette première génération d’enfants qui s’amusaient à trois ans
dans les parcs de McDonald’s qui dandinent aujourd’hui leurs bourrelets sur les
pistes de danse.
J’aurais
espéré que nos professionnels de la santé luttent contre la manipulation des
compagnies agro-alimentaires, mais ils l’ont aidé malgré eux. D’abord, les
pédopsychologues ont créé la génération de l’enfant-roi grâce à leurs savants
conseils en matière d’éducation. Ainsi, il ne faut plus priver de dessert un
enfant qui ne finit pas son assiette ni même le forcer à manger sainement. Comme
les enfants constituent une cible vulnérable à la publicité, il devient alors
facile aux géants de la malbouffe de s’immiscer dans le menu familial.
Autrefois, les parents décidaient du menu familial. Aujourd’hui, ce sont les
enfants, ou plutôt les industriels via la bouche des enfants.
D’après moi,
les diététistes et leur guide alimentaire ont constitué les principaux alliés
de la malbouffe. Leur
croisade tous azimuts contre le gras et la viande depuis les années ‘70 a créé
une confusion populaire magistrale. Leur discours omet de dire qu’un aliment
faible en gras est forcément riche en sucre. En effet, les calories ne
proviennent que de trois sources possibles : les sucres (glucides), les
gras (lipides) et les protéines (protides). Comme les protéines constituent
rarement 20 % de l’apport calorique total, mais jamais plus de 30 %, le reste
est forcément divisé entre les sucres et les gras. Or une calorie de gras ne
fait pas plus engraisser qu’une calorie de sucre. De plus, les sucres, surtout
les mauvais sucres, détractent le mécanisme de satiété si bien que nous finissons
par manger au-delà de notre appétit réel. Ce sont précisément ces calories
ingérées en trop qui entrainent l’obésité.
Certaines
diététistes prétendent encore aujourd’hui qu’il n’y a pas de bons ou de mauvais
aliments, que tout est une question de quantité. C’est complètement faux. Les
jeunes d’autrefois mangeaient à satiété, mais n’engraissaient pas parce que
leur alimentation était plus équilibrée. Or une alimentation équilibrée
implique bien sûr des protéines mais aussi des sucres et des gras.
La qualité
et non la quantité des aliments détermine donc l’obésité. Il y a de bons sucres
comme le brocoli mais aussi de mauvais comme le coca-cola. Il y a de bons gras
comme l’huile d’olives mais aussi de mauvais comme la margarine. Le danger
réside dans les calories vides qu’on retrouve justement dans la malbouffe.
En
encouragent une consommation excessive de glucides, sans égard à leur qualité,
les diététistes ont pavé la voie vers la fortune aux géants de la malbouffe. En
dénigrant la viande, en particulier la viande rouge, elles ont favorisé le
végétarisme, un régime impropre à l’homme et ainsi entrainé toutes sortes de
carences alimentaires chez nos adolescentes, notamment en fer, en vitamine B12
et en acide cervonique (oméga-3 ADH).
Les
adolescentes sont particulièrement vulnérables à la propagande des diététistes.
En effet, elles traversent une période psychologique difficile de leur vie où
il est facile de verser dans l’idéalisme, notamment l’idéalisme alimentaire.
Soit qu’elles assument mal leur rôle de prédateur dans la chaine alimentaire,
soit qu’elles s’opposent à la chasse aux phoques, elles délaissent
progressivement la viande au profit des féculents. La majorité d’entre elles
commencent alors à prendre du poids. Les autres deviennent anorexiques pour
éviter cette prise de poids ou commencent à fumer. Dans un cas comme dans
l’autre, elles hypothèquent leur santé pour la vie.
Le guide
alimentaire canadien fait fausse route avec son concept de portions. Il devrait
plutôt parler de proportions. En effet, les jeunes mangeront toujours à leur
faim. Il est inutile, voire contreproductif, de leur imposer une portion en sus
ou en deçà de leur appétit. Faute d’agir sur la quantité, agissons plutôt sur
la qualité des aliments. Notre responsabilité en tant que parents est de leur
préparer des repas équilibrés où l’on retrouve légumes, fruits et viandes. Il
faut aussi avoir le courage de tenir tête à l’offensive médiatique en limitant
les heures de télévision et en bannissant toute malbouffe de la résidence
familiale. En interdisant les chips, les frites, les poutines, les céréales
croustillantes et les sodas, et en modérant le pain blanc, la pomme de terre,
le riz et les pâtes, vos enfants retrouveront leur appétit normal et
incidemment leur taille.
L’environnement
est devenu un thème incontournable de la politique contemporaine. Nos décideurs
ont finalement saisi l’importance de limiter l’ambition des industries
polluantes afin de léguer un environnement sain à la génération qui succède.
Quand comprendront-ils qu’il faut limiter l’ambition de l’industrie de la
malbouffe afin de léguer aussi la santé à la génération qui succède?
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